Bruno Julliard, Le Monde Education, mis en ligne le 12 mars 2011.
Notre école traverse une crise majeure et il faut tout reconstruire. Pour le secrétaire à l’éducation du Parti socialiste, le sujet sera une priorité, quel que soit le candidat, en 2012.
A tout juste 30 ans, Bruno Julliard est adjoint au maire de Paris Bertrand Delanoë, chargé de la jeunesse. Depuis le congrès de Reims de 2008, il est secrétaire à l’éducation du Parti socialiste. C’est à ce titre qu’il a élaboré le programme éducation du parti, qui servira de base au candidat socialiste à la présidentielle de 2012. Cet ancien président du syndicat étudiant UNEF, qui s’est fait connaître lors de la lutte contre le contrat première embauche (CPE) au printemps 2006, a travaillé deux ans durant à l’élaboration de ce programme qui veut réformer l’école en profondeur, la rendre plus juste et efficace, sans heurter l’électorat traditionnel socialiste au sein duquel les enseignants tiennent une place de choix.
Quel est à vos yeux l’état de l’école ?
Notre école vit une crise majeure. Nous en avons des piqûres de rappel régulières avec les classements internationaux. Nous investissons autant que d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour des résultats bien inférieurs.
Toutes les réformes portées par la droite ont entraîné de vraies régressions et creusé les inégalités. Notre modèle sélectif fondé sur un élitisme républicain n’a plus de républicain que le nom. Il nous faut prendre du recul et repenser le système en profondeur. Le gouvernement actuel, qui fait marche arrière sur sa semaine de quatre jours ou bien encore sur sa propre réforme de la formation des enseignants, le sait bien. Mais il veut masquer le contenu de sa propre politique éducative à l’heure du bilan. Mais les Français ne s’y trompent pas.
Avez-vous conscience que la "France de gauche " attend beaucoup du projet éducation du PS
Au vu de l’état de l’école, c’est bien normal, et nous ne la décevrons pas. Notre projet est une double rupture. Il rompt avec le discours traditionnel de la gauche, qui a pu manquer d’aspérités et d’audace. Il propose une rupture avec notre système éducatif, beaucoup plus inégalitaire, sélectif et élitiste que celui des pays comparables au nôtre.
Vous allez tout changer du jour au lendemain ?
Notre projet éducatif est à dix ans. En effet, le temps de l’éducation n’est pas celui des médias et des annonces répondant à la dictature du temps court. Il faut laisser le temps d’expérimenter, d’installer, de mesurer les effets d’une politique, et c’est par exemple pour cette raison qu’il nous semble sérieux qu’un ministre reste à son poste le temps d’un mandat présidentiel.
Vous avez élaboré le projet du Parti. Sera-t-il pour autant celui du candidat à la présidentielle ?
Tous les candidats déclarés, ou les porte-parole des candidats potentiels, sont d’accord sur Iii voie à suivre. Et même plus largement à gauche, les Verts ne sont pas si éloignés de nos propositions.
Sur l’orientation du projet, je n’ai donc aucune crainte. En revanche, j’aurais pu avoir des doutes sur le degré de priorité de l’éducation pour chacun des candidats. Mais nous sommes paradoxalement aidés par l’ampleur de l’échec des politiques éducatives de la droite. Les comparaisons internationales le démontrent parfaitement : notre école traverse une crise majeure, et il faut tout reconstruire. Les leaders socialistes en ont pleinement conscience et tous font de ce sujet une de leurs premières priorités.
Vous plaidez pour une mobilisation générale contre l’échec. De quelles armes dispose le PS ?
La dernière enquête PlSA a révélé que 20 % des élèves ne maîtrisaient pas les compétences de base en français et mathématiques, un chiffre en progression. Les difficultés rencontrées lors des premières années de scolarité sont déterminantes pour la suite, notre priorité absolue va donc à l’école primaire. Il est totalement suicidaire de supprimer des moyens dans les écoles, alors que nous dépensons déjà 15 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE. Seul l % des élèves ayant redoublé une classe à l’école primaire accède au baccalauréat scientifique ! Il faut casser ce déterminisme qUI est évidemment d’abord social.
Dans le même ordre d’idée, nous pensons que la scolarité obligatoire doit commencer dès 3 ans et que la scolarité à 2 ans doit devenir un droit garanti sur certains territoires. Nous en ferons même une priorité dans les quartiers difficiles.
Au train où va la politique actuelle, la variable d’ajustement budgétaire qui portait sur la scolarisation des élèves de 2 à 3 ans va s’étendre vers les 3-4 ans. Or, à nos yeux, c’est une impasse et un grave coup porté aux chances de réussite des élèves en difficulté.
Comment comptez-vous réduire la proportion de 15 % d’enfants qui sortent du primaire sans savoir lire ?
Nous ne proposerons pas de méthodes pédagogiques magiques, mais nous mettrons l’accent sur les expérimentations qui marchent. Il en existe, et il faut les faire connaître. Preuve que nous savons faire, même en zone difficile. Mais il faut proposer ces outils aux enseignants, développer la recherche pédagogique et en faire redescendre les résultats. C’est d’ailleurs un levier pour renouer la confiance avec le monde enseignant.
Et dans les classes ?
Nous sommes favorables au retour des enseignants spécialisés dans les quartiers qui cumulent les difficultés. Dans ces écoles-là , il faut plus de maîtres que de classes. Ce qui permet de ne pas fonctionner toujours en classe entière, et ainsi de faire du surmesure. Nous devons éviter le redoublement en traitant autrement la difficulté.
Comme dans l’essentiel des pays comparables à la France, il faut que cette pratique injuste et inefficace disparaisse peu à peu de nos écoles. Nous parions aussi sur une réforme de la semaine de quatre jours, préjudiciable aux plus fragiles. Nous souhaitons une semaine de cinq jours éducatifs avec un minimum de quatre jours et demi de classe et une demijournée d’activités périscolaires dans les murs de l’école. Pour alléger les journées trop chargées, nous conjuguerons cela avec un allongement de l’année scolaire de deux semaines l’été.
Envisagez-vous une école du socle qui regrouperait tout l’enseignement obligatoire ?
C’est sûrement trop tôt. On ne peut pas regrouper école et collège aujourd’hui au sein d’un même établissement, mais en revanche, il faut une vraie continuité entre eux, qui passe par une redéfinition du socle commun de connaissances et de compétences, et un renouvellement des pédagogies mises en oeuvre.
Nous sommes au milieu du gué. Les programmes restent trop souvent une accumulation de savoirs disciplinaires, nécessaires mais insuffisants. Les compétences, le savoir-être et l’ouverture au monde ne trouvent pas suffisamment leur place, alors qu’ils sont des piliers de la culture commune et partagée dont nous souhaitons doter chaque élève à la fin de la scolarité obligatoire.
A quoi ressemble votre collège ?
Il faut une rupture culturelle. En finir avec l’idée que c’est l’antichambre du lycée, une gare de triage. En 6e et 5e, il faut donner un pouvoir d’agir et une autonomie accrus aux équipes éducatives. Qu’elles puissent modifier l’organisation de l’année scolaire pour individualiser la pédagogie et repenser leur travail. Il faut que les élèves aient un nombre plus réduit de matières.
Alors pourquoi ne pas imaginer des enseignements par secteurs disciplinaires ? Sur une partie de l’année, l’élève suivrait par exemple des sciences de la vie et de la terre, ensuite il passerait aux sciences physiques ou à la technologie.
Le tout avec une dose d’autonomie aux établissements ?
Oui, mais d’autonomie pédagogique et non d’autonomie managériale. Il faut octroyer à chaque établissement des heures d’enseignement à répartir en fonction de leur projet pédagogique, seul moyen d’adapter réellement l’enseignement aux besoins des élèves. Un projet accompagné et évalué, avec une garantie de dotations pluriannuelles.
Je suis convaincu des résultats positifs qu’engendrerait une telle réforme dans la lutte contre l’échec scolaire. Davantage que le fait de miser uniquement sur la réduction du nombre d’élèves par classe qui, de toute manière, n’aurait que peu de sens puisque nous estimons que le carcan du groupe classe doit perdre de sa rigidité, pour mieux répondre aux besoins de chacun. Comment vous positionnez-vous sur l’autonomie développée par la droite qui permet aux chefs d’établissement de recruter leurs enseignants ?
Nous y sommes absolument hostiles. Nous sommes en revanche favorables à ce que les établissements publient leur projet pédagogique et à ce que dans le cadre du mouvement national, les enseignants puissent eux-mêmes choisir de contribuer à mettre en oeuvre ce projet.
Et pour les zones en grande difficulté, que proposez-vous ?
La suppression de la carte scolaire s’est traduite par u11-eaugmentation de la ségrégation sociale et scolaire. En plus du rétablissement d’une sectorisation géographique, nous sommes favorables à une réforme de la répartition des moyens, qui intègre les caractéristiques sociales et scolaires des élèves accueillis. De plus, nous proposons de rendre publiques les dotations en euros de chaque établissement.
Ce sera un électrochoc qui montrera clairement que nous sommes dans un système profondément inégalitaire, dans lequel les mieux dotés par la naissance sont aussi les élèves les mieux servis ! On consacre bien plus aux établissements de centre-ville, avec leurs enseignants expérimentés et leurs options plus nombreuses, qu’aux établissements défavorisés où de très jeunes profs sont souvent en poste. On doit en finir avec cette injustice mais d’abord, il faut la montrer.
Un nouveau contrat entre les enseignants et la nation ?
Nous devons rétablir la confiance entre les enseignants, maltraités par la droite, et la société. Cela passera par une revalorisation du métier, sous toutes ses formes. Il faut reconstruire une formation initiale de qualité qui intègre une dimension pratique. Le métier d’enseignant ne peut pas être le seul qui ne s’apprend pas ! Plus largement, il faut repenser le métier, ouvrir une vaste négociation sur toutes ces missions que l’enseignant exerce et qui ne sont pas aujourd’hui reconnues. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de dilapider l’argent public ?
Venant de ceux qui sacrifient l’école publique, l’accusation n’a que peu de valeur. Le non-remplacement de la moitié des enseignants partant en retraite est dogmatique, et emmène l’école dans le mur. Il faudra rétablir des postes, c’est certain. Mais il est trop tôt pour dire combien.
D’autant que nous retravaillerons la répartition au sein même du système pour une plus grande justice et une meilleure efficacité. Nous évaluons cet engagement à plusieurs milliards sous la mandature. Réinvestir dans ce secteur est indispensable pour l’égalité réelle entre les individus et pour le développement culturel, social et économique de notre pays.
Propos recueillis par Maryline Baumard et Benoît Floc’h
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