Collectif Ecole changer de cap, mis en ligne le 6 juin 2012.
Pierre MERLE
ENTRETIEN paru dans Vous/Nous/Ils
Le socioÂlogue Pierre Merle, proÂfesÂseur en Bretagne, vient de publier un ouvrage sur la ségréÂgaÂtion scoÂlaire. Il y décrit les difÂféÂrents types de ségréÂgaÂtions, y dénonce entre autres l’éducation prioÂriÂtaire, tout en proÂpoÂsant de nouÂvelles pistes pour homoÂgéÂnéiÂser les chances de réusÂsites scolaires.
Vous idenÂtiÂfiez dans votre livre (1) quatre types de ségréÂgaÂtions, quelles sont-elles ?
La preÂmière est une ségréÂgaÂtion de genre : les filières proÂfesÂsionÂnelles Bureautique ou Habillement scoÂlaÂrisent plus de 90% de filles alors que les filières Mécaniques ou Électricité plus de 90% de garÂçons. Résultant des normes sociales, elle pénaÂlise les femmes lorsqu’elles sont une minoÂrité à intéÂgrer l’ENA ou Polytechnique. La deuxième forme de ségréÂgaÂtion est de type ethÂnique. Les élèves d’origine étranÂgère sont absents de la grande majoÂrité des établisÂseÂments et concenÂtrés dans quelques établisÂseÂments de banÂlieues. La troiÂsième modaÂlité est dite "acaÂdéÂmique", c’est-à -dire liée au niveau scoÂlaire. A ce proÂpos, les donÂnées sont édifiantes. Enfin, la ségréÂgaÂtion sociale désigne une difÂféÂrenÂciaÂtion forte du recruÂteÂment social des établisÂseÂments. Il existe des établisÂseÂments mixtes mais aussi des établisÂseÂments très bourÂgeois avec plus de 80% d’enfants des catéÂgoÂries aisées, et d’autres très populaires.
Quelles sont les oriÂgines de ces ségrégations ?
Ces ségréÂgaÂtions ont pluÂsieurs oriÂgines. La ségréÂgaÂtion sociale tient des inégaÂliÂtés de reveÂnus et de patriÂmoine. Les difÂféÂrences de recruÂteÂment des quarÂtiers se réperÂcutent sur le recruÂteÂment social des établisÂseÂments. La ségréÂgaÂtion ethÂnique est aussi liée aux inégaÂliÂtés éconoÂmiques. Les popuÂlaÂtions immiÂgrées, majoÂriÂtaiÂreÂment peu quaÂliÂfiées, habitent dans les quarÂtiers déshéÂriÂtés. L’importance du diplôme pour l’intégration proÂfesÂsionÂnelle explique cerÂtaines inégaÂliÂtés. Cette cenÂtraÂlité du diplôme amène les parents, et notamÂment ceux des catéÂgoÂries aisées, à choiÂsir les établisÂseÂments consiÂdéÂrés comme les meilleurs afin de maxiÂmiÂser les chances de réusÂsite scoÂlaire et proÂfesÂsionÂnelle de leurs enfants.
Vous poinÂtez du doigt une évoluÂtion négaÂtive de l’école franÂçaise, c’est-à -dire ?
En comÂpaÂrant les donÂnées interÂnaÂtioÂnales de 2000 à 2009, je montre que d’une part l’école franÂçaise devient de plus en plus injuste : la réusÂsite scoÂlaire des élèves est de plus en plus en rapÂport avec leur oriÂgine sociale. D’autre part, elle est de moins en moins perÂforÂmante : le niveau moyen des élèves baisse et le nombre d’élèves faibles augÂmente. Les causes du déclin sont mulÂtiples. L’augmentation de la ségréÂgaÂtion sociale et acaÂdéÂmique, liées à l’abandon proÂgresÂsif du colÂlège unique et à la mulÂtiÂpliÂcaÂtion des options et secÂtions, est une des explications. Pierre Merle
Vous metÂtez en cause l’éducation prioÂriÂtaire, cenÂsée gomÂmer les difÂféÂrences. Pour quelles raisons ?
L’échec de l’éducation prioÂriÂtaire tient au fait que les établisÂseÂments concerÂnés ne reçoivent pas plus d’aides que les autres ou pas sufÂfiÂsamÂment plus. Pour gomÂmer les difÂféÂrences, ces établisÂseÂments devraient notamÂment avoir des classes netÂteÂment moins charÂgées. Deux élèves en moins par classe ne perÂmettent pas d’augmenter senÂsiÂbleÂment les chances de réusÂsite. Des recherches très solides montrent que cinq élèves en moins par classe perÂmetÂtraient de réduire senÂsiÂbleÂment les différences.
Vous monÂtrez que les sysÂtèmes étranÂgers foncÂtionnent mieux que le nôtre.Quelles leçons en tirer ?
L’école finÂlanÂdaise est un exemple stiÂmuÂlant. Le niveau moyen des élèves est très élevé, le nombre d’élèves faibles très réduit, les inégaÂliÂtés de réusÂsite selon l’origine sociale limiÂtées. C’est un sysÂtème éducaÂtif qui se caracÂtéÂrise par un fort colÂlège unique, une affecÂtaÂtion plaÂniÂfiée des élèves selon une carte scoÂlaire, très peu d’établissements priÂvés (moins de 3% !) et une forte mixité sociale des établisÂseÂments. Leur pédaÂgoÂgie, qui repose sur la valoÂriÂsaÂtion pluÂtôt que la sancÂtion des échecs et qui refuse le clasÂseÂment, est aussi très difÂféÂrente de celle usuelÂleÂment praÂtiÂquée en France. Ce serait un modèle à suivre. Mais pour l’instant, les poliÂtiques éducaÂtives mises en Å“uvre en France ont été pluÂtôt le contraire de celles qui perÂmettent à l’école finÂlanÂdaise d’être l’une des meilleures du monde.
Delphine Barrais
Note(s) :
(1) La ségrégation scolaire de Pierre Merle, aux éditions la Découverte, collection Repères. Avril 2012
Pour en savoir plus sur Pierre Merle, consulÂter sa fiche sur le site du CREAD de Bretagne
Paru dans vous/nous/ils http://www.vousnousils.fr/2012/05/1...
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