Patrick Robo, mis en ligne le 1er mars 2012.
Avant de s’interroger sur "Quelle école pour le XXI° siècle ?", peut-être est-il nécessaire de rappeler que l’école n’a pas toujours été au service de l’éducation au sens où nous l’entendons aujourd’hui et que jusqu’au XVIII° siècle, c’est la formation des élites qui a retenu l’attention des décideurs et de la majorité des penseurs. Un retour succinct en arrière nous plongera dans les racines nourricières de l’école.
Il y a 4000 ans, (-2030) la première école connue forme, à MARI en Mésopotamie, des scribes, des chroniqueurs, des comptables, des astrologues, des astronomes et des prêtres. Les Égyptiens, puis les Grecs, les Romains formeront des fonctionnaires, des "hommes" instruits et sportifs, des conquérants, des orateurs… Au Moyen Age, le service divin sera la finalité première de tout enseignement livresque. Charlemagne formera, dans ses écoles, des moines, des clercs, des notables, des missi-dominici, des inspecteurs.
Au XIII° siècle on formera l’élite dans deux grandes Universités : la Sorbonne et la faculté de médecine de Montpellier. A la Renaissance, on compte une douzaine d’Universités. Les collèges d’humanité voient le jour ; les Jésuites Å“uvrent à la formation de l’élite, mais l’enseignement des rudiments (lire, prier, parfois écrire et compter) relève d’un nombre restreint d’écoles paroissiales. La Réforme prônera la lecture individuelle de la Bible. Le développement de l’imprimerie (la galaxie Gutenberg) et la concurrence entre catholiques et protestants faciliteront l’accès aux savoirs.
Au XVII° siècle la Contre-réforme développera, pour lutter contre l’hérésie et moraliser la jeunesse, un réseau d’écoles urbaines de charité.
L’école moyen de moralisation de la jeunesse et de lutte contre l’hérésie. En même temps dans les villages de la France majoritairement rurale les rares maîtres, engagés par les habitants, sous contrôle de l’Église, enseignent dans une pièce souvent rudimentaire pratiquant une pédagogie de style individuel faisant souvent épeler sur un psautier ou réciter des extraits d’oraison.
Évoquons ici Jean-Baptiste de La Salle qui se consacre à la scolarisation gratuite des pauvres, crée le séminaire des maîtres de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, les "frères ignorantins" et introduit une pédagogie inspirée des collèges d’humanité, mise au point au XV° siècle aux Pays Bas, et utilisant des livres identiques pour enseigner à des groupes d’enfants devenus des "classes". Ainsi naquit l’enseignement collectif magistral basé sur une discipline à laquelle l’élève se soumet dans un système de punitions, récompenses, notes… enseignement que nous avons tous vécu et qui prédomine aujourd’hui encore.
Au XVIII° siècle, la Révolution de 1789 accélérera le processus de développement de l’école en posant le principe de la responsabilité de l’État en matière d’Éducation. Elle souhaite, à l’instar de Condorcet, former un citoyen libre et éclairé par l’instruction chargée de transmettre au peuple l’héritage des lumières. Pour lui (Condorcet) l’école sera laïque, gratuite et les sexes égaux devant l’instruction. Hélas, la Révolution n’aura pas les moyens de mettre en Å“uvre son "rêve pédagogique" mais elle a posé les grands principes sur lesquels les républicains des générations postérieures vont bâtir une école affranchie de l’Église où l’accès au savoir sera un droit et un devoir du citoyen.
Mais c’est au XIX° siècle, que l’école du peuple a commencé à se développer sous la pression d’une demande sociale forte ; le ministre Guizot la déclare d’utilité publique, en 1833, et choisit comme modèle pédagogique officiel celui des frères des écoles chrétiennes au grand désarroi des tenants de l’enseignement mutuel ; "l’instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale"
Avec la Troisième République qui garantit les libertés fondamentales d’opinion, d’expression, de réunion et d’association, la France fera l’apprentissage de la démocratie libérale. Jules Ferry secondé notamment par Ferdinand Buisson mettra en place, en dix ans (1879-1889), les fondements de l’école que nous connaissons aujourd’hui : une école gratuite (1881), obligatoire (de 6 à 13 ans) et laïque (1882). Cette école libératrice développe la morale laïque : "La liberté, le devoir, la responsabilité, les devoirs envers nos semblables, l’humanité, la patrie, la famille : telles sont les principales idées que vous aurez à développer." dit-on aux instituteurs. Cette école pour tous, a pour mission la transmission de connaissances et valeurs mais aussi de contribuer activement à renforcer l’unité nationale (histoire, géographie, instruction civique, système métrique et le Français, langue des lumières et seule langue autorisée pour l’apprentissage).
Le XX° siècle sera celui de la massification de l’enseignement, de la mixité, du Mouvement d’Éducation nouvelle. La scolarité obligatoire passe à 14 ans en 1936 puis à 16 ans en 1959 ; en 1985 le ministre Chevènement décrète la nécessité d’amener 80% d’une tranche d’âge au niveau du bac. Nous sommes contemporains de la Loi d’Orientation de 1989 qui place l’enfant au cÅ“ur du système éducatif et préconise d’adapter l’enseignement au niveau et au rythme réels de son public. Le système éducatif instaure le principe de la discrimination positive avec la création de Zones d’Éducation Prioritaire et les Écoles Normales seront remplacées par les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres où les Sciences de l’Éducation trouvent leur articulation théorie-pratique.
Mais si l’école s’est massifiée, force est de constater qu’elle ne garantit encore pas aujourd’hui l’égalité des chances de réussir socialement à tous les élèves. L’école, au bout de 4000 ans, après un siècle récent de réformes, se trouve encore au cÅ“ur d’une actualité prégnante et mérite peut-être, comme ce fut le cas du temps de Jules Ferry, un vrai débat de société. En attendant pouvons-nous nous interroger sur :
Aujourd’hui nous vivons une période transitoire chaotique où l’ouverture des marchés, la montée de la démocratie et l’échange d’informations sont des éléments de la croissance mondiale.
Repérons ici trois évolutions qui modifient en profondeur nos sociétés :
On le voit, à la lumière des ces changements, toute société se doit de réfléchir aux évolutions de son système éducatif pour préparer les jeunes à un monde qui sera différent de celui d’aujourd’hui tout en les sensibilisant aux enjeux fondamentaux pour l’avenir de l’humanité et de la planète.
L’école se voit donc confrontée à plusieurs défis importants :
Le schéma éducationnel issu de la IIIème République, encore prégnant aujourd’hui devient de plus en plus inopérant. Il devra donc évoluer, confronté à :
Dans ce contexte, les attentes à l’égard de l’école sont de plus en plus grandes, compte tenu en particulier :
Pour cela, le système éducatif et son école devront opérer un certain nombre de transformations, à savoir :
En développant :
Il apparaît aujourd’hui évident que le métier d’enseignant doit être redéfini. Pour cela il convient de repenser leur formation pour en faire des experts ayant une ou des expérience(s) professionnelle(s) riche(s) et variée(s). L’enseignant polyvalent, seul dans sa classe est en voie de disparition ; il devra désormais composer, en coordonnant, avec des intervenants extérieurs, des aides-éducateurs, des enseignants spécialisés, et il devra travailler en équipe avec ses pairs.
D’instructeur, d’appreneur, il deviendra éducateur, guide, médiateur, passeur qui apprendra à apprendre. Il sera donc centré sur l’élève apprenant, dans la perspective d’une école sur mesure. Les "hussards noirs de la République" ont bien rempli leur mission… à leur époque. Les éclaireurs du XXI° siècle doivent les remplacer.
Par ailleurs, l’individualisme et le profit prenant de plus en plus le pas sur les relations humaines et sur la gestion des biens, il devient indispensable de re-développer les principes démocratiques pour et dans l’enseignement. A cet effet et en premier lieu, l’école doit redevenir un vrai service public d’éducation nationale et laïque auquel l’État donnera des moyens répartis équitablement et affectera des enseignants efficaces.
La règle des trois unités (temps, lieu, action) de la tragédie classique qui s’appliquait à l’école est aujourd’hui caduque. Désormais on apprendra et se formera à tout âge, de plus en plus hors de l’école, et avec des sources et des partenaires divers. L’école devra donc redéfinir sa spécificité dans ce contexte et développer de nouveaux partenariats. Elle devra devenir une organisation apprenante qui fera acquérir une culture générale mais qui, en même temps, développera des attitudes et comportements responsables et citoyens. Mais elle devra demeurer une institution cardinale de la République, instituée et instituante, lieu essentiel de socialisation et d’acquisition de savoirs : savoirs encyclopédiques, savoir faire, savoir être et savoir devenir. Ainsi elle permettra aux individus, à la société et au Monde d’évoluer et à l’humanité de se perfectionner dans le respect de ses valeurs fondamentales.
Cette approche rapide d’une possible école à venir pour un siècle est un exercice délicat de prospective… Acceptons-en l’imperfection mais Å“uvrons pour qu’un vrai débat de société s’instaure sur notre système éducatif.
Pour finir, rappeler qu’étymologiquement, école vient du grec skholê qui exprime d’abord l’idée de loisir, puis celle d’activité intellectuelle faite à loisir… qu’il en soit aussi ainsi pour l’école du XXI° siècle.
Patrick ROBO
NOTE. Pour mieux mesurer la dimension anthropologique , psychologique et éthique de l’évolution nécessaire de l’école , je recommande la lecture de "Politique et école. .
- Source : texte écrit par l’auteur en 2002.
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