Véronique Guérin, mis en ligne le 26 juillet 2011.
L’approche proposée est une approche développementale qui part du postulat que l’humanité comme chaque être humain évolue, change, se transforme et cette évolution va du simple au complexe. Cette approche développementale s’inspire partiulièrement du modèle de la spirale dynamique de Clare Graves et de la grille de lecture « intégrale » de K. Wilber. pour mieux comprendre les interactions entre l’individu et son environnement familial et culturel, l’impact de l’entourage sur le développement psychique de l’individu et, de façon complémentaire, la façon dont l’individu participe à la transformation de la société.
Les valeurs, représentations ou mentalités d’un individu ou d’une société, passent par une série de stades, chacun caractérisant un système de valeur, c’est-à -dire un point de vue à partir duquel le monde « réel » est appréhendé, et donc un ensemble de filtres perceptuels et conceptuels constituant le mode de pensée et d’action, l’habitus pourrait-on dire, caractéristique de ce niveau. Par exemple, les réponses à la question « Qu’est-ce qui est important dans la vie ? », donnent des indications sur le système de valeurs de la personne : « être le plus fort, si on ne veut pas être soi-même dominé » , « continuer la tradition qui nous vient de nos ancêtres », « se conformer aux lois qui viennent d’un pouvoir transcendant », « réussir socialement en gagnant bien sa vie », être soi-même et vivre en harmonie avec les autres… Chacune de ces représentations peut être rattachée à un stade de la Spirale Dynamique. Chaque stade constitue une manière particulière de voir le monde et d’agir de la façon la plus appropriée dans une situation donnée. Ces stades se situent dans une progression générale vers plus de complexité et de décentration, comme un élargissement de la conscience individuelle et collective. Le modèle de la spirale dynamique permet d’appréhender ave plus de sérénité les attitudes des élèves, des familles, des collègues et de transformer les oppositions et les conflits en dialogue constructif et humanisant.
On ne peut enseigner sans être en relation. Qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, l’enseignant est en relation avec ses élèves mais également avec ses collègues et les parents et se retrouve également à gérer les relations entre les élèves. Quand on aborde cette dimension relationnelle, les enseignants craignent parfois qu’on ne leur demande de devenir psychologues, assistants sociaux ou rééducateurs. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. La confusion vient du fait que, dans notre culture, la dimension relationnelle est souvent réduite à sa partie thérapeutique. Or, le développement relationnel et la thérapie sont deux domaines différents et complémentaires comme le sont l’enseignement de la lecture et l’orthophonie.
Les compétences relationnelles s’apprennent au même titre que la lecture ou l’écriture. Enseignées depuis de nombreuses années au Québec, aux Etats-Unis ou encore en Europe du Nord, elles font l’objet de nombreuses études et classifications. Dans nos formations pour les enseignants, nous nous centrons sur l’acquisition des compétences suivantes :
Comment peuvent s’acquérir ces compétences relationnelles ? Du fait qu’elles intègrent une dimension physique et émotionnelle, la lecture d’ouvrages ou la participation à des conférences ou à des formations théoriques se révèlent peu efficaces. En effet, en situation de stress ou de conflit, on se retrouve vite à agir ou à parler comme si l’on était « hors de soi » : le cerveau cognitif (neo-cortex) est pris de vitesse par le cerveau émotionnel (limbique) qui prend les commandes et impulse des actions avant même qu’on ait le temps de réfléchir. Les conflits se terminent souvent mal et participent à la crispation de positions de chacun.
Pour aborder cette dimension relationnelle, il se révèle plus efficace d’utiliser des méthodes qui impliquent le corps et influent directement sur le cerveau émotionnel plutôt que de compter sur l’argumentation auquel le cerveau émotionnel est assez peu perméable. En rejouant des situations conflictuelles non résolues (un élève m’a insultée et j’ai perdu le contrôle de moi-même), nous prenons conscience de nos émotions (sentir la colère ou la peur émerger) et de nos sensations (je tremble, j’ai le cÅ“ur qui bat plus vite…). Cette présence à soi-même permet de mobiliser ses ressources internes pour chercher des alternatives à la violence. C’est pourquoi, pour former les enseignants, nous utilisons l’approche du théâtre-forum : on joue des situations que les enseignants perçoivent comme problématiques, des conflits qui se terminent mal puis on explore des attitudes innovantes grâce au remplacement d’un personnage de la scène par quelqu’un du public. Le spectateur devient « spect-acteur » !
Le théâtre-forum est une des techniques du " théâtre de l’opprimé " imaginé par Augusto Boal dans les années 1960, pour soutenir des communautés dans leur désir de transformer des systèmes injustes. Nous continuons de l’utiliser dans cet esprit pour faire évoluer des lois injustes,des abus de pouvoir ou des pratiques maltraitantes. Cependant la majorité de nos interventions s’appuient sur le postulat que les transformations sociales et l’évolution individuelle vont de pair : on ne peut changer le monde sans se changer soi-même.
Nos théâtres-forum ont donc pour objectif de développer les compétences relationnelles et l’intelligence collective : imaginer ensemble des attitudes et des propositions qui prennent en compte la diversité des interprétations sur une même situation.
Le déroulement d’une séance de théâtre-forum
Les quatre points-clefs du théâtre-forum
C’est la récré, deux enseignants sont de surveillance dans la cour. Deux élèves viennent demander à un enseignant s’ils peuvent aller prendre un jeu qu’ils ont oublié dans la classe. L’enseignant refuse parce que c’est la règle, l’autre enseignant explique (c’est à cause des vols), les élèves sont frustrés, l’une se met à pleurer, l’autre se met en colère. Ca finit par une punition. Ils doivent rester assis sans bouger près des enseignants.
Un élève refuse de faire quelque chose en cours de gym (monter sur banc par exemple) et l’enseignant minimise, la juge (arrête de pleurer, ça ne va pas t’aider) et lui donne des solutions (fais comme ça, assieds toi bien). Les autres élèves se moquent et ça finit en bagarre. Anna est dispensée parce qu’elle s’est fait mal à la jambe. Manu est à fond, il adore les cours de gym. Un moment, il veut montrer à Cathy et il se rate en montant sur la chaise. L’enseignant lui dit qu’il a mal écouté les consignes et que c’est pour cela qu’il a fait une erreur. « eh ben voilà , tu n’écoutes jamais rien ! »
Un parent est en colère parce que son enfant qui est handicapée lui dit que les autres se sont moquées d’elle et ne veulent pas jouer avec elle dans la cour de récréation.
De ces situations ludiquement traitées émergent, à mesure de la participation, des explications non stéréotypées, et une réflexion ouverte créatrice. Des solutions humainement porteuses de sens.
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